Impayés, arrêt des chantiers dans certaines zones notamment sur le littoral
de Dakar, conditions d’octroi des marchés publics… Le secteur du BTP
sénégalais peine à sortir la tête de l’eau malgré la forte demande de
logements et les nombreux projets d’infrastructures dans le pays.
IMMOBILIER – CONSTRUCTION SÉNÉGAL

Le 25 février, le Syndicat professionnel des entrepreneurs du bâtiment et des
travaux publics du Sénégal (SPEBTPS) inaugurait son nouveau siège à Dakar.
L’événement revêtait un caractère important pour l’organisation fondée en
1977 mais, ce jour-là, l’ambiance n’était pas à la fête. Englué dans une crise qui
ne cesse de s’aggraver depuis la pandémie de Covid-19, le secteur réclame des
mesures d’urgence. À commencer par l’apurement de la dette intérieure,
estimée selon plusieurs sources à plus de 300 milliards de F CFA (457,34
millions d’euros).
Au fil des années, les impayés de l’État sénégalais envers les entreprises
privées du BTP ont continué de s’accumuler, au point de devenir une des
principales entraves au redressement de ce secteur stratégique, qui représente
plus de 4 % du PIB du pays et plus de 200 000 emplois directs. « La dette
intérieure s’est aggravée depuis 2023, mettant en péril la capacité des
entreprises à honorer leurs engagements financiers et sociaux », a déploré le
président du syndicat, Oumar Ndir, au cours de la cérémonie. Ces retards,
estime-t-il, compromettent leur « capacité d’investissement, freinent
l’embauche et fragilisent l’ensemble de l’écosystème économique ».
Plus de 10 000 emplois perdus
La crise est telle que le Fonds monétaire internationale (FMI) a dû à son tour
tirer la sonnette d’alarme, et recommander « des efforts supplémentaires […]
pour traiter l’accumulation d’impayés envers les entreprises privées, en
particulier dans les secteurs de la construction et de l’énergie ». À l’issue d’une
visite au Sénégal, en septembre, le FMI indiquait ainsi qu’un « inventaire de
ces passifs devrait être réalisé et [qu’]un plan d’apurement avec un calendrier
crédible et transparent devrait être mis en place pour garantir une résolution
dans des délais raisonnables ».
« Malheureusement, rien n’a été fait en ce sens. Le secteur du BTP continuera
d’autant plus de souffrir que la dette interne n’est pas notre unique
problème », regrette un opérateur. Car, depuis avril 2024, le secteur subit
aussi les effets de la mise à l’arrêt de travaux de construction dans une dizaine
de zones du pays, dont le littoral de Dakar.
Supposée durer deux mois, dans le but de « procéder à la vérification de la
légalité et de la conformité des titres délivrés et occupations », la suspension
ordonnée par la présidence sénégalaise, dès l’investiture du chef d’État
nouvellement élu, Bassirou Diomaye Faye, n’a pas été levée, plongeant les
opérateurs dans l’incertitude. « Plus de 10 000 employés ont été perdus à
cause de cette mesure », tempête un professionnel du BTP, qui dénonce une
« absence totale » de visibilité.
« Aucune mesure d’accompagnement n’a été prise, et, pire, nous n’avons été ni
consultés ni associés à ces décisions, même si nous pouvons en comprendre le
bien-fondé et la justification », expliquait Oumar Ndir en janvier sur la chaîne
Sud FM. « On ne peut pas, du jour au lendemain, priver des acteurs
économiques de leur gagne-pain et mettre en péril autant d’emplois »,
poursuivait le président du SPEBTPS, estimant à 20 000 le nombre d’emplois
affectés par ces suspensions.
Lueur d’espoir
« Certains chantiers ont repris, mais cette reprise est timide. En tout cas, les
autorités ont la volonté de reprendre les choses en main », confie Taslim
Ngom, associé gérant au sein de Ihsan Development Group (spécialisé dans la
fourniture d’infrastructures durables et d’investissements immobiliers) et
ancien directeur général du groupe de construction Sertem. Une lueur
d’espoir pour ce secteur considéré comme la pierre angulaire de la vision
« Sénégal 2050 », un plan visant à bâtir un pays « souverain, juste, et
prospère », selon les mots du chef de l’État, Bassirou Diomaye Faye.
« Les autorités nous assurent que le BTP est au coeur de cette vision, que des
concertations aboutiront bientôt à une issue favorable pour les entreprises du
secteur. Nous jugerons sur pièces », témoigne un chef d’entreprise. Cette lueur
d’espoir est justifiée aussi par les perspectives qu’offre le secteur.
« Représentant près de 30 % des investissements publics, il est au coeur de la
stratégie de développement du Sénégal, avec plusieurs grands chantiers en
cours qui modifient profondément le paysage urbain et économique du pays »,
note Bpifrance dans un dossier consacré aux « secteurs porteurs » pour
investir dans le pays de la Teranga, citant les exemples du Train express
régional (TER) de Dakar ou du port de Ndayane.
Président de la cérémonie, Yankhoba Diémé, le ministre des Infrastructures et
des Transports terrestres et aériens, ne s’est pas montré insensible aux
doléances de la profession. « J’ai entendu des termes forts : paiement de la
dette intérieure, préférence nationale, contenu local, souveraineté économique
[…] Ces préoccupations ont bien été enregistrées », a-t-il assuré, sans
promettre de mesures précises. Et de conclure : « Lorsque le BTP est en bonne
santé, c’est tout le pays qui rayonne. »
L’éco